Au terme d’une élection qui a peu mobilisé, les Genevois ont surpris lors de l’élection du Grand Conseil et ont maintenu le suspense concernant la future composition du Conseil d’État. Celle-ci sera décidée lors d’un second tour le 30 avril. Quels ont été les résultats et quels enseignements peut-on en tirer ? À quoi ressemblera la prochaine législature ? Nous allons revenir sur les résultats en les comparant avec les analyses que j’avais faites dans les articles précédents pour mieux comprendre ce qu’il s’est passé.
Analyse des résultats
Voici les résultats définitifs de l’élection du Grand Conseil pour les principales formations politiques :
Parti |
Pourcentage de voix |
Sièges |
+/- |
PLR |
19% (-6.2%) |
22 sièges |
(-6) |
PS |
14.7% (-0.7%) |
18 sièges |
(+1) |
Vert-e-s |
12.9% (-0.2%) |
15 sièges |
(=) |
MCG |
11.7% (+2.3%) |
14 sièges |
(+3) |
UDC |
10.7% (+3.4%) |
12 sièges |
(+4) |
Libertés et justice sociale (LJS) |
8.5% |
10 sièges |
|
Le Centre |
7.9% (-2.8%) |
9 sièges |
(-3) |
Vert’libéraux |
6.6% (+5%) |
0 sièges |
|
Gauche radicale |
3.6% et 3.1% (-1.1%) |
0 sièges |
(-9) |
Le premier fait qui saute aux yeux, c’est les 10 sièges que la liste de Pierre Maudet (LJS) a réussi à obtenir. Personne ne l’avait vu venir et je ne pensais pas à titre personnel que son bon score prévisible pour l’élection du Conseil d’État pourrait propulser sa liste et la faire accéder au Grand Conseil. C’est un immense exploit qui entraînera des conséquences importantes sur la vie politique genevoise.
Le second élément, c’est la progression de l’UDC et du MCG, deux partis populistes qui semblaient en perte de vitesse à Genève. Si je pensais que l’UDC allait retrouver un score aux alentours des 10% car le parti a historiquement récolté environ 10% des voix dans le canton, je ne pensais pas que le MCG pourrait progresser autant. À ce sujet, j’ai probablement sous-estimé le fait qu’une liste dissidente du MCG (Genève en Marche, menée par Éric Stauffer) s’était présentée en 2018 et avait obtenu 4.1%, ce qui explique en partie la progression du parti en 2023.
Je n’ai également pas imaginé que le vote contestataire serait aussi fort (les trois grands gagnants de cette élection sont des partis populistes) et que cela pénaliserait autant les partis gouvernementaux. En particulier, je ne pensais pas que le Centre perdrait un quart de ses suffrages et que le camp rose-vert ne progresserait pas alors qu’il s’affichait comme étant le phare de stabilité de la politique genevoise. Les votants ont manifestement voulu du changement et ils ont porté leur choix sur des formations populistes de droite plutôt que pour des formations de gauche, qui perdent 2% en cumulé par rapport à 2018.
Le PLR, les Vert’libéraux (PVL) et la gauche radicale ont néanmoins subi un scénario conforme à l’analyse de mon précédent article, à savoir une lourde chute du PLR, une progression forte mais insuffisante des Vert’libéraux et une gauche radicale condamnée car désunie. Je continue de penser que le discours technocratique du PVL genevois lors de cette élection ne pouvait séduire qu’une frange trop étroite de la population pour espérer atteindre le quorum. Ce parti a néanmoins le potentiel de faire des scores de plus de 10% à Genève s’il parvient à élargir sa base et à dépasser son image de parti d’universitaires.
Un Grand Conseil dysfonctionnel ?
Maintenant que nous avons passé en revue les forces en présence, regardons quelles majorités vont pouvoir se dessiner au cours de la prochaine législature.
Le premier élément important est que la droite s’est renforcée, grâce notamment à la désunion de la gauche radicale qui lui fait perdre neuf sièges. Huit d’entre eux sont désormais entre les mains d’un parti de droite, ce qui fait que la gauche ne dispose plus que de 33 sièges sur 100 au Grand Conseil. À titre de comparaison, seul le Valais a moins de députés de gauche dans son parlement cantonal en Suisse romande (31.5%).
La seconde donnée est que le Grand Conseil continue d’être fragmenté en sept partis comme lors de la précédente législature et il faudra désormais réunir obligatoirement quatre partis pour former une majorité. Le MCG avait précédemment un rôle pivot incontournable et formait des majorités avec la droite ou la gauche selon les sujets. Il devra partager ce rôle avec Le Centre et Libertés et justice sociale (LJS).
Le PLR et l’UDC, ou le PS et les Vert-e-s, devront s’allier avec deux de ces trois partis pour former des majorités. Ces trois partis penchant tout de même davantage à droite, il est raisonnable de penser que le Grand Conseil poursuivra des priorités de droite. La situation sera similaire à la précédente législature sur la plupart de sujets car le PLR, l’UDC, le Centre et le MCG avaient déjà une majorité. Les élus LJS donneront néanmoins la possibilité aux députés de droite de poursuivre leur agenda en offrant une alternative au MCG. En effet, cela permettra à la droite de contourner les quelques majorités gauche-MCG que la dernière législature nous a offert, notamment concernant la fonction publique. En somme, le PLR a perdu 6 sièges au Parlement mais, grâce au renforcement de la droite dans son ensemble, il pourra encore mieux réaliser son agenda car il ne sera potentiellement plus bloqué par le MCG.
Il est essentiel de rappeler que cela ne signifie pas que le Grand Conseil fonctionnera plus efficacement, au contraire. Plus le nombre de partis nécessaires pour former une majorité est élevé, plus il est difficile de trouver un point d’entente, même entre partis proches idéologiquement. Par exemple, les discussions sur le budget seront encore très difficiles. Les espoirs de la gauche de trouver des majorités ou des compromis sur quelques sujets étant très faibles, il est probable qu’elle ait davantage recours aux référendums et aux initiatives. Les Vert’libéraux n’étant pas représentés et n’ayant par conséquent que l’arme de la démocratie directe pour exister politiquement, il faut s’attendre à une multiplication des sujets cantonaux portés en votations ces prochaines années.
Enfin, 36 femmes ont été élues au Grand Conseil, en légère hausse par rapport à 2018 (32). Ce nombre reste néanmoins insuffisant. Le Grand Conseil était déjà composé de 36 femmes en 1993 et en 1997 et il reste des progrès à réaliser pour que les femmes soient mieux représentées au Parlement cantonal. Ce faible nombre s’explique notamment par le fait que les trois partis qui ont le plus progressé (LJS, MCG et UDC) n’ont présenté que très peu de femmes dans leurs listes et n’ont donc que six élues sur leurs 36 députés. Ceci signifie que presque la moitié des élus n’appartenant pas à ces trois partis sont des femmes (30/64). Le PLR a par exemple fait de réels progrès dans ce domaine et dispose désormais de plus d’élues que d’élus.
Analyse des résultats du premier tour de l’élection du Conseil d’État
Venons-en maintenant au premier tour de l’élection du Conseil d’État. Voici les résultats des principaux candidats qui seront encore présents au second tour :
Candidat(e) |
Suffrages |
Nathalie Fontanet (PLR) |
49’218 suffrages |
Thierry Apothéloz (PS) |
38’232 suffrages |
Antonio Hodgers (Vert) |
35’490 suffrages |
Anne Hiltpold (PLR) |
35’147 suffrages |
Fabienne Fischer (Verte) |
31’403 suffrages |
Pierre Maudet (LJS) |
31’315 suffrages |
Carole-Anne Kast (PS) |
31’289 suffrages |
Philippe Morel (MCG) |
29’575 suffrages |
Delphine Bachmann (Le Centre) |
27’566 suffrages |
Lionel Dugerdil (UDC) |
23’263 suffrages |
Les candidates PLR ont réalisé un très bon score, en particulier compte tenu du score décevant de leur liste au Grand Conseil. Il semble donc que les électeurs qui se sont détournés du PLR en 2023 ont quand même plébiscité les candidates du parti. Je considère d’ailleurs pour cette analyse qu’elles seront élues le 30 avril prochain, en compagnie de Thierry Apothéloz et Antonio Hodgers, car l’avance de ces quatre candidats sur la huitième place me paraît suffisante. À l’inverse, je ne vais pas m’attarder sur la candidature de Lionel Dugerdil car son retard est trop important.
Il nous reste donc cinq candidats pour trois places :
- Deux candidates de gauche (Fabienne Fischer et Carole-Anne Kast) qui désirent maintenir une majorité de gauche au Conseil d’État ;
- Pierre Maudet qui tente un come-back ;
- Philippe Morel (MCG) et Delphine Bachmann (Le Centre) qui veulent conserver le siège de leur parti au gouvernement.
Les candidates de gauche et Pierre Maudet tiennent pour l’instant la corde avec un peu moins de 2’000 et 4’000 voix d’avance sur Philippe Morel et Delphine Bachmann respectivement. Cette avance paraît néanmoins mince dans le cas d’une alliance entre les partis de droite.
L’alliance genevoise, un mariage de raison ou d’opportunisme ?
Dès la publication des résultats du premier tour, l’ensemble des grands partis de droite ont appelé à s’unir pour battre les quatre candidats de gauche, qui ont réussi à maintenir un front commun et à obtenir un bon résultat groupé qui les placent tous dans les sept premiers.
Les divergences idéologiques en amont du premier tour ont été dépassées à droite et dès le lendemain du premier tour, on apprend que le PLR, le MCG, le Centre et l’UDC lancent une liste commune pour cette élection qui s’appelle « L’alliance genevoise ». Difficile de faire un nom plus générique pour une alliance électorale. Cette liste de cinq candidats exclut donc Pierre Maudet, qui partira seul contre tous dans un format qui ne le dérange pas particulièrement. Il est tout de même curieux de voir ces quatre partis de droite s’allier alors que leurs idéologies et leurs convictions sont profondément différentes.
Le Centre, qui avait toujours refusé jusqu’ici de participer à une alliance avec l’UDC et le MCG à cause de leur populisme et de leur xénophobie, a décidé de renier ses valeurs en espérant conserver son siège au Conseil d’État grâce aux voix de ses nouveaux alliés. Ce mouvement de panique, causé par son score décevant, pourrait se retourner contre le parti à court et à long terme car il perd ainsi l’image d’un parti raisonnable qui maintient un cordon sanitaire avec les partis de droite populiste. Cette étiquette va désormais être associée aux Vert’libéraux, qui appellent quant à eux à voter pour les quatre candidats de gauche, pour les PLR et pour la centriste pour faire barrage à Pierre Maudet, au MCG et à l’UDC.
Le Centre rejoint donc la position de l’UDC qui appelle depuis longtemps à une union de la droite et abandonne son statut de modéré aux Vert’libéraux. Ce changement de politique, décidé en 24 heures, pourrait bien leur porter préjudice dès cette élection. En effet, les électeurs de centre-gauche qui auraient pu également voter pour une candidate centriste vont peut-être changer d’avis en voyant son nom associé au MCG et à l’UDC.
Dans une stratégie de second tour, l’idéal est d’élargir sa base d’électeurs et de convaincre ceux qui ne votent pas naturellement pour nous. Les électeurs de droite qui n’ont pas voté pour Delphine Bachmann au premier tour auraient probablement fini par voter pour elle de toute façon au second tour, plutôt que pour des candidats de gauche. En s’aliénant les électeurs que le MCG et l’UDC repoussent, le Centre prend le risque de voir son siège lui échapper au profit d’une alliance qui n’était pas nécessaire pour le conserver.
Les gagnants de cette alliance sont le MCG à court terme, qui bénéficie d’un boost de légitimation et qui peut espérer rallier les électeurs PLR à la candidature de Philippe Morel, et l’UDC à long terme qui a rompu le cordon sanitaire et qui pourra à l’avenir s’associer plus souvent au PLR pour grandir et gagner en importance politique. Soit cette « alliance genevoise » fonctionne et il sera possible à l’avenir de voir le Centre continuer de s’allier à l’UDC comme cela existe dans d’autres cantons, soit elle éclate et elle laissera des traces. L’Entente, à savoir l’alliance historique PLR-PDC, a disparu en 2023 quand chacun est parti seul au premier tour et ne renaîtra probablement pas de ses cendres à l’identique lors des prochaines élections cantonales. L’Entente était une vraie locomotive électorale car le PDC et le PLR partageaient une même vision de société. Une alliance était donc cohérente comme l’est celle entre le PS et les Vert-e-s. Le 30 avril 2023 nous dira si une vision idéologique commune est nécessaire pour créer une alliance électorale à succès à Genève.
Tous les cinq candidats précités ont des réelles chances de devenir Conseillers d’État aux côtés de Nathalie Fontanet, Thierry Apothéloz, Antonio Hodgers et Anne Hiltpold et il est très difficile aujourd’hui de prédire qui sera élu. Toutes les combinaisons sont possibles mais seulement un cas précis ne conduirait pas à une majorité de femmes au gouvernement (élection de Pierre Maudet et de Philippe Morel, aux côtés d‘une autre candidate). Il est donc probable que le prochain gouvernement genevois soit majoritairement féminin, ce qui constituerait une première pour Genève.