Le 2 avril 2023, les Genevois voteront pour renouveler leurs représentants au Grand Conseil. Durant la législature 2018-2023, le Grand Conseil était composé de sept partis :
- Les Libéraux-Radicaux (PLR) ;
- Les Socialistes (PS) ;
- Les Vert-e-s ;
- Le Centre ;
- Le Mouvement Citoyen Genevois (MCG) ;
- Ensemble à Gauche (EàG) ;
- L’Union Démocratique du Centre (UDC).
En 2023, 691 candidats se présentent sur douze listes pour espérer décrocher un des cent sièges du Parlement genevois. Les ambitions de chaque parti sont très différentes, certains espèrent augmenter leur poids au Parlement, d’autres rêvent d’y accéder alors que d’autres encore craignent d’être éjectés du Grand Conseil. Quels sont les enjeux pour chacun et comment sera composé le futur Grand Conseil ?
Avant de s’attaquer aux différentes forces politiques, il faut s’attarder sur un élément fondamental de cette élection. La Constitution genevoise prévoit un quorum fixé à 7%, c’est-à-dire qu’un parti doit récolter minimum 7% des suffrages exprimés pour être représenté au Grand Conseil. Ceci a pour but d’éviter un trop grand morcellement du paysage politique mais il exclut de facto les petits partis du Parlement. Même Ensemble à Gauche et l’UDC, qui sont des forces politiques établies, ont eu de la peine à dépasser le quorum en 2018 en ne récoltant respectivement que 7,83% et 7,32% des voix. Cela crée donc un effet de seuil important car quelques voix de plus peuvent permettre à une liste de passer de 0 à 7 sièges.
Élan radical et Civis, l’acte de présence
Ce quorum nous permet d’exclure de notre analyse deux listes qui n’atteindront vraisemblablement pas la barre des 7%, à savoir Élan radical et Civis. Élan radical est un nouveau parti qui, déçu de la fusion en 2011 entre les radicaux et les libéraux genevois, ambitionne de redonner vie au radicalisme. Il a été fondé en 2020 par des anciens cadres du PLR fidèles à Pierre Maudet malgré ses déboires judiciaires. Le problème est que Pierre Maudet ne désire pas faire renaître un parti radical genevois mais avoir une plateforme électorale qui lui permette de se faire élire au Conseil d’État ; il a donc lancé son propre mouvement dont nous discuterons après. Malgré la perte de Pierre Maudet, Élan radical a tout de même décidé de se lancer dans la course mais leurs candidats souffrent d’un véritable manque de notoriété et de nombreuses formations de centre-droit se font concurrence dans cette élection ; la liste rencontre donc des difficultés à être présente médiatiquement et à se faire connaître.
Civis est un parti fondé par Luc Barthassat, qui a été élu sous l’étiquette PDC au Conseil national entre 2005 et 2013 puis au Conseil d’État entre 2013 et 2018. Après son échec à se faire réélire au Conseil d’État en 2018, il a décidé de rejoindre le MCG en 2019 avant de fonder son propre parti en 2022. Luc Barthassat tente de continuer à exister politiquement avec sa nouvelle formation mais le problème est qu’il est impopulaire et que les électeurs récompensent rarement les personnes qui s’accrochent à leur gloire passée tout en continuant à se présenter à de nouvelles élections sous d’autres étiquettes.
Ces deux listes, menées par des politiciens inconnus ou impopulaires, ne vont pas atteindre la barre des 7%. Leur présence dans cette élection a pour but de faire renaître un parti radical genevois dans le cas d’Élan radical et de satisfaire l’ego et la soif médiatique de leur chef de file dans le cas de Civis.
La division de la gauche radicale et l’alliance rose-verte
Ensemble à Gauche est une coalition de différents petits partis situés politiquement à la gauche de la gauche. Ne parvenant pas à accéder au Grand Conseil individuellement, ils ont décidé de mettre leurs différences de côté et de se présenter sous une étiquette commune depuis 2013, ce qui leur a permis d’être représentés au Grand Conseil depuis. Le problème est qu’un groupe dissident d’Ensemble à Gauche a décidé de lancer sa propre liste en vue de cette élection, la Liste d’Union Populaire. La présence de deux listes de gauche radicale garantit quasiment la disparition de la gauche radicale du Grand Conseil, comme ce fut le cas en 2005 et en 2009 quand elle partait divisée.
Sachant cela, l’ambition de chacune des listes pour cette élection n’est plus de dépasser le quorum mais de faire un meilleur score que l’autre liste pour s’assurer de détenir le leadership de ce camp politique en vue de futures élections. Cette guerre d’egos leur nuit politiquement et hypothèque les espoirs de la gauche de renverser la majorité de droite au Grand Conseil.
À l’inverse de la gauche radicale, le camp rose-vert avance serein et conquérant. Les Socialistes et les Vert-e-s ont décidé d’avancer ensemble dans cette élection en unissant leurs candidats pour le Conseil d’État. Étant les deux seules formations à se présenter main dans la main dans cette élection, elles ont chacune pour ambition d’augmenter leur représentation au Grand Conseil, voire de contester le statut de premier parti du canton du PLR. Il sera intéressant de voir au soir du dimanche 2 avril quelles seront leurs forces respectives et si la potentielle progression de l’alliance rose-verte parviendra à compenser l’absence de la gauche radicale. Ne disposant ensemble que de 32 sièges sur 100 actuellement, il paraît néanmoins illusoire d’imaginer une majorité PS et Vert-e-s au Grand Conseil.
La mésEntente
L’Entente, c’est-à-dire l’alliance électorale entre le Centre et le PLR, n’est plus. Forgée en 1936 et outil électoral majeur pour la droite genevoise jusqu’aux dernières élections, elle a volé en éclat à la suite de différences stratégiques et idéologiques. Le PLR, prenant exemple sur les élections dans les autres cantons, appelait de ses vœux une large alliance de droite incluant l’UDC. Inacceptable pour le Centre, qui préfère partir seul que de s’allier avec l’UDC. Chacun des partis de droite fera donc campagne seul et se mesurera aux autres en essayant de démontrer le bien-fondé de son positionnement.
Le Centre est un parti établi et stable à Genève, où il récolte environ 10% des voix aux élections cantonales depuis 2005. Le PLR a quant à lui été soutenu par plus d’un électeur sur quatre lors des dernières élections cantonales en 2018 et a vu son chef de file, Pierre Maudet, être réélu au premier tour lors de l’élection du Conseil d’État. Depuis, le PLR vit une phase difficile car sa gestion de l’affaire Maudet a fâché une partie de la base du parti et a abîmé son image auprès du public. Les élections cantonales de 2023 seront donc difficiles pour le parti car plusieurs listes se présentent pour séduire l’électorat de droite, à commencer par celle de Pierre Maudet lui-même. À cause de la multiplication des listes de droite et à cause de l’image dégradée du parti, il est certain que le PLR perdra des voix. Il pourrait même perdre son statut de premier parti du canton selon les progressions des autres partis. Le paysage à droite sera recomposé et le PLR devra réévaluer son positionnement politique, il sera donc nécessaire pour eux de réfléchir à une stratégie pour donner un nouveau souffle au parti.
Malgré son exclusion du PLR, sa démission du Conseil d’État et son échec face à Fabienne Fischer lors de l’élection complémentaire, Pierre Maudet n’a pas abandonné son rêve de retour en grâce dans la politique genevoise. En vue de ces élections cantonales, il a décidé de créer Libertés et justice sociale (LJS), un mouvement qui ne s’affirme « ni de gauche, ni de droite » et qui réunit ses principaux soutiens. Essayant d’imiter le modèle d’Emmanuel Macron en France, en se positionnant au-dessus des clivages idéologiques et en cultivant le « en même temps » (comme le montre le nom du mouvement), il tente de s’affirmer comme l’homme providentiel pouvant résoudre les problèmes du canton.
Si sa candidature au Conseil d’État est sérieuse et a des chances de réussir car il bénéficie d’une popularité relativement importante en tant que politicien, sa liste ne dispose que de peu d’atouts en dehors de sa personne. Il est tout à fait envisageable qu’il réunisse de nombreuses voix en tant qu’individu mais, sa liste ne projetant aucune idéologie ou valeurs clairement définies, les électeurs se rabattront sur des listes de partis plus établis et identifiables politiquement. Par conséquent, je doute très fortement de la capacité de la liste LJS à attirer des électeurs à elle et je ne la vois pas accéder au Grand Conseil.
La stratégie de Pierre Maudet n’est de toute façon pas de créer un nouveau parti qui s’installe dans la durée mais d’avoir un appui dans son ambition politique personnelle. Le sort de cette liste n’aura finalement que peu d’impact sur ses chances d’accession au Conseil d’État qui est son seul véritable objectif.
Les Vert’libéraux, le petit qui veut devenir grand
Les Vert’libéraux (PVL) sont un petit poucet dans le canton de Genève. En 2018, ils ont réalisé un score décevant de 1,6%, en baisse par rapport à 2013 où ils avaient récolté 3,1% des voix. Ils ont néanmoins progressé en 2019 et ont réussi à décrocher un siège au Conseil national en obtenant 4,5% des voix lors des élections fédérales. La barre des 7% semble quand même haute pour eux mais il est tout à fait raisonnable de les imaginer fortement progresser par rapport à 2018. Est-ce que leur progression sera suffisante pour que le parti soit représenté au Grand Conseil ? Tout l’enjeu est là pour le PVL.
La formation est devenue beaucoup plus présente dans les médias depuis 2018 et ses initiatives lancées ont été une excellente stratégie pour se faire connaître du grand public. Néanmoins, ils gardent un discours et une image technocratiques qui ne séduit qu’une frange étroite de l’électorat. Ce segment de la population risque d’être trop petit pour leur permettre de grandir jusqu’à devenir un parti majeur du canton. 2023 sera une année charnière pour les Vert’libéraux genevois et un succès lors de ces élections leur permettrait de s’installer durablement dans le paysage politique genevois.
Le MCG et l’UDC, les grands qui ne veulent pas devenir petits
Le MCG et l’UDC sont deux partis aux trajectoires très différentes mais qui aujourd’hui ont la même crainte : celle d’échouer à quelques voix du quorum et de perdre toute représentation au Grand Conseil.
L’UDC est le plus grand parti de Suisse mais il reste faible à Genève, en témoigne son score de 7,3% aux dernières élections cantonales de 2018. Aux élections précédentes, il avait récolté entre 9 et 10% des suffrages donc il est possible que 2018 ne soit qu’un accident de parcours et que l’UDC retrouve son poids électoral traditionnel. Le parti dispose toutefois de peu de marge et a décidé de faire appel à ses deux conseillers nationaux, Céline Amaudruz et Yves Nidegger, pour être en tête de liste et ainsi porter les autres candidatures. Leur présence devrait aider à mobiliser leur électorat et ainsi passer la barre des 7%.
Le MCG est quant à lui en perte de vitesse depuis 2013, année où le parti a récolté plus de 19% des voix. En 2018, son score n’était plus que de 9,4% et c’était encore pire lors des élections fédérales de 2019 lorsqu’il est tombé à 5,4%. Le MCG réalise de meilleurs scores aux élections cantonales qu’aux élections fédérales mais, Mauro Poggia ne se représentant pas, le parti a perdu sa locomotive électorale et ne dispose plus de candidats ayant une telle carrure ni une telle notoriété.
Dans ce contexte, il semble difficile de voir progresser le MCG et il pourrait voir le quorum se rapprocher dangereusement. Le parti garde néanmoins un socle d’électeurs fidèles qui pourraient lui permettre de maintenir leur représentation. Il reste à déterminer si leur discours anti-frontaliers résonne toujours autant dans un contexte de pénurie de main-d’œuvre qualifiée et de chômage faible.
Bilan et projections
En résumé, nous avons une gauche radicale qui ne devrait plus être représentée au Grand Conseil, un camp rose-vert fort et uni et une droite atomisée où chacun essaye d’avancer ses pions et où tous se tirent dans les pattes.
Dans ce contexte, le centre-gauche devrait progresser en nombre de voix et en nombre de sièges, il reste néanmoins à voir dans quelles proportions et lequel des deux partis bénéficiera le plus de la situation. À droite, nous avons cinq partis qui ambitionnent et qui ont des chances d’être représentés au Grand Conseil :
- Le PLR ;
- Le Centre ;
- Le MCG ;
- L’UDC ;
- Les Vert’libéraux.
Au vu du nombre de listes de droite, il sera difficile que ces cinq listes dépassent toutes le quorum fixé à 7%. Je pense que le PLR va perdre des plumes mais il est impensable de voir son score de 2018 divisé par quatre. Pour le Centre et l’UDC, cette multiplication de listes peut les affecter mais ils disposent d’une base solide et stable d’électeurs. Leur identité ne s’est pas détériorée ces dernières années et ils devraient donc être représentés lors de la prochaine législature.
Concernant le MCG et les Vert’libéraux, je les vois récolter entre 5 et 8% des voix et cela se jouera donc à peu de choses pour eux. Il est tout à fait envisageable que le MCG disparaisse du champ politique genevois, ce qui serait quand même un événement politique majeur. Ces élections sont absolument cruciales pour ces deux partis car le MCG joue sa survie politique et car les Vert’libéraux ont besoin d’être représentés au Parlement cantonal pour asseoir leur légitimité politique dans le canton et lancer leur campagne en vue des élections fédérales. À cause du quorum, la situation est simple pour ces deux formations : faire plus de 7% est un succès (même pour un MCG en baisse), faire moins de 7% est un échec (même pour des Vert’libéraux en progression).
Mon petit pronostic personnel, qui a de grandes chances d’être faux, serait :
- un renforcement du PS et des Vert-e-s ;
- une lourde chute du PLR (entre -5% et -10% par rapport à 2018) ;
- une stabilisation du Centre ;
- une légère progression de l’UDC ;
- un score en légère baisse pour le MCG mais un maintien au-dessus des 7% ;
- une progression des Vert’libéraux mais qui échouent à dépasser le quorum.
Ce pronostic est évidemment très subjectif et n’a pas pour but de tenter de prédire l’avenir mais de figer les conclusions de mon analyse pour les comparer aux résultats finaux du 2 avril. Cela me permettra d’observer les éléments que j’ai pu rater et de mieux comprendre comment les Genevois ont voté. Je serais ravi d’avoir vos pronostics à vous et vos remarques. N’hésitez pas à m’écrire par message privé ou à envoyer un mail à : redaction@affluents.ch.