
Le 4 mars 2023, Emmanuel Macron a achevé une tournée en Afrique centrale, amorcée par un grand discours à l’Elysée le 27 février présentant sa stratégie pour l’Afrique. Ce discours fait écho à celui de Ouagadougou en 2017, dans lequel Macron affirmait sa volonté de tourner la page de la politique postcoloniale de la France, et donc d’en finir avec la Françafrique, devant un parterre de 800 étudiants. Il avait voulu tendre la main à une jeunesse africaine de plus en plus critique envers la France, en jouant sa carte de jeune président qui n’a pas connu la France coloniale, et qui propose la construction d’une “relation nouvelle” avec l’Afrique, entre partenaires égaux. Pour Macron, entre la France et l’Afrique, ce doit être une “histoire d’amour” (Jeune Afrique, 2020).
De très belles paroles, comme Macron a prouvé maintes fois savoir en asséner. Le discours de 2023 ne révolutionne rien par rapport à celui de 2017, il porte exactement le même message et utilise quasiment les mêmes concepts, vides de sens quand l’orateur ne les développe pas, que sont le défi sécuritaire, la consolidation des États, l’éducation, la formation, la santé, l’entrepreneuriat, ou encore la transition énergétique. Le Président français nous a en effet habitués à balancer des grandes idées et des mots clés, mais creux, à la tête du peuple et des journalistes. Il me semble cependant essentiel de regarder de plus près ce que dit réellement le discours du Président français sur son rapport à l’Afrique.
De belles paroles
Car malgré cela, on ne peut pas qualifier le discours du 27 février de mauvais. Macron a su montrer qu’il a compris en partie les problématiques Nord-Sud et leurs enjeux pour le futur. Il a compris qu’il fallait se parler de continent à continent, en construisant un axe euro-africain, et non pas de pays à continent, comme la France le fait jusqu’à aujourd’hui. Il a compris que les pays africains étaient des puissances économiques et culturelles qui montent en puissance et qu’il est essentiel de créer des synergies pour ne pas rester sur le carreau. Finalement, il semble avoir compris que pour se débarrasser de la Françafrique, il faut abandonner une certaine attitude et un certain langage coloniaux. Qu’il faut passer d’une logique d’aide à une logique d’investissements (certains auraient préféré entendre le terme remboursement). En d’autres termes, il a compris, du moins grossièrement, la matrice des penseurs postcoloniaux.
Si ce n’est que l’analyse de son discours laisse trahir une stratégie rhétorique. Macron affirme qu’il n’y a plus de politique africaine de la France, comme il l’avait déjà dit en 2017, alors qu’il est en train de la présenter. Il prétend avoir, au cours de son premier quinquennat, bousculé les tabous et réconcilié les mémoires, comme si les rapports sur le Rwanda et l’Algérie ou la restitution de certaines œuvres suffisaient à réconcilier des mémoires meurtries par plus d’un siècle et demi de violences. A plusieurs moments du discours, l’auditeur est obligé d’esquisser un sourire.
Mais surtout, le Président insiste énormément sur la nécessité d’une relation “d’égal à égal” et d’une preuve de “profonde humilité” de la France. Presque trop pour que cela ne paraisse pas suspect. Les mots les plus utilisés sont certainement “partenariat” et “partenaires”. Les plus taquins d’entre nous considérerons que le Président s’est trahi lorsqu’il appelle “à considérer les partenaires africains comme des partenaires à part entière”. Parce que ce n’est évidemment pas le cas jusqu’ici.
Est-ce que le Président part d’aussi loin dans sa conception de l’Afrique pour penser qu’enfoncer ces portes ouvertes équivaut à bousculer des tabous ? On a envie de le penser quand il affirme encore qu’il n’y a pas de réalité unique africaine, sur un continent qui compte donc 1,4 milliard d’habitants. Est-ce que “faire preuve d’une profonde humilité”, dans sa matrice, c’est entre autres admettre qu’il y n’y pas de réalité unique sur un continent qui fait trois fois la taille de l’Europe et où coexistent 1’500 langues?
Dans un beau théâtre
Peut-être. Mais il ne faut pas réduire le petit prince de la communication à sa bêtise. Lorsqu’il présentait sa stratégie en 2017, il s’adressait aux Africains depuis l’Afrique. En 2023, il s’adresse depuis l’Elysée à un parterre de diplomates, officiels, acteurs économiques, sportifs et culturels français. Il utilise le ton du patriarche et remet à l’ordre ses troupes qui n’auraient pas encore compris que les Africains sont des êtres humains dotés d’une conscience. Mais son discours est en fait à nouveau destiné à un public africain.
Accusé de paternalisme en Afrique, il aurait été compliqué pour Macron de revenir expliquer directement aux Africains sa vision pour l’avenir de leur continent. Il doit cependant parvenir à regagner la confiance des Africains coûte que coûte. Et sa solution est cette savante mise en scène, dans laquelle il tente de se faire passer pour le Président éclairé qui proclame la mort de l’attitude coloniale de la France, à la face d’acteurs français déterminants dans les rapports entre la France et l’Afrique. Il s’est construit un théâtre sur mesure le temps d’un discours, pour pouvoir répondre aux critiques grandissantes à l’égard de l’attitude coloniale et passéiste de la France sur le continent. Des critiques qui mettent en danger son influence et font les affaires de ses concurrents Russes, Chinois et Turcs.
Macron sait que son discours est suivi depuis l’Afrique. Il est destiné aux Africains. Le message est clair : la Françafrique est morte et le Président français est là pour veiller à ce que son peuple en prenne pleinement conscience. Cette pirouette de communication doit contribuer à apaiser les relations franco-africaines pour contrer la perte d’influence française.
Et c’est un échec. De très nombreux Africains ne semblent pas du tout convaincus par les belles paroles françaises. Des manifestations ont éclaté contre sa venue en Afrique centrale. RFI a recueilli des réactions à l’université Cheikh Anta Diop de Dakar, où l’on a suivi ce discours en direct. On peut y lire entre autres : “C’était un discours infantilisant” ; “C’est un vocabulaire qu’on essaye d’adapter, qu’on essaye de remodeler pour donner l’impression qu’on est en train de vouloir changer de ligne, de manière de faire.” ou encore “Ce que nous avons entendu n’est pas si nouveau, à part la manière de le présenter.”
Entre les apparentes bonnes intentions de Macron et la réception de ses mots en Afrique, il semble y avoir un gouffre. Alors, est-ce que Macron veut réellement tirer un trait sur la Françafrique par conviction ou par nécessité géopolitique ?
La Françafrique
Pour comprendre la relation actuelle entre la France et l’Afrique, il est essentiel de revenir sur l’histoire de la Françafrique.
Ruinée par la Seconde Guerre mondiale, la France comprend qu’elle ne peut plus maintenir son empire colonial. Elle élabore alors une nouvelle stratégie pour garder son influence en Afrique. De Gaulle, arrivé au pouvoir en 1958, et son ami Jacques Foccart poursuivent l’idée de la Communauté française engendrée une année plus tôt et qui doit succéder à l’empire colonial. Foccart est connu comme le père de l’ordre néo-colonial appelé Françafrique, qui désigne les opérations secrètes, les interventions, les réseaux d’intérêts néocoloniaux et les activités commerciales illégales qui ont perduré pendant des décennies.
La Françafrique a placé à la tête des États africains des personnalités formées en France et convaincues de l’incapacité de leur pays à se gérer tout seuls, tout en éliminant les leaders politiques anticolonialistes, à l’image du camerounais Félix-Roland Moumié, empoisonné en Suisse par les services secrets français en 1960. Elle a appuyé nombre de coups d’État militaires, le premier d’entre eux au Togo en 1963, et de dictatures. Foccart le confirmera dans ses mémoires : sur une partie importante des 214 coups d’Etat militaires qui ont eu lieu sur le continent africain, la France a une influence explicite ou implicite, directe ou indirecte. Les régimes nouvellement établis ayant besoin de capitaux étrangers pour faire fonctionner leur économie, les acteurs économiques français en ont grandement profité.
La France a imposé le franc CFA à ses anciennes colonies, dont la parité fixe sur le franc français puis l’euro est garantie par la France. Cela nécessite que 50 % des réserves de change du franc CFA soient déposées au Trésor français sur un compte rémunéré. La France a fait de son autorité sur la zone CFA un élément d’oppression et de sanctions à l’égard des États africains. Elle a par exemple dévalué le franc CFA de 50 % (!) en 1994 sous Balladur. Les pays qui ont résisté et qui ont instauré leur propre monnaie ont été sévèrement punis, à l’image de la République de Guinée.
La France a également utilisé sa culture, et notamment sa langue, comme instrument de domination, via les instituts culturels français ou la Francophonie. Dès les jeunes années de la colonisation, le géographe français Onésime Reclus théorise la langue comme une arme : “assimiler nos Africains, de quelque race qu’ils soient, en un peuple ayant notre langue pour langue commune. Car l’unité du langage entraîne peu à peu l’union des volontés. Nous avons tout simplement à imiter Rome qui sut latiniser, méditerranéiser nos ancêtres, après les avoir domptés par le fer.”
Finalement, Paris dispose d’un Conseil présidentiel pour l’Afrique (cellule africaine) depuis Jacques Foccart et encore aujourd’hui sous Macron, et définit la politique étrangère africaine comme le “domaine réservé du Président de la République”.
La fin perpétuelle de la Françafrique
La Françafrique projette une image négative sur l’ancienne Métropole et met en péril aujourd’hui son influence en Afrique. En d’autres termes, la Françafrique se met en péril elle-même. Ainsi, avant Macron, Sarkozy et Hollande ont successivement proclamé la fin de la Françafrique. Rien de nouveau ni d’étonnant donc de voir un Président français chercher le moyen de détacher son pays de cette image néocoloniale. Et il semblerait qu’il s’agisse plus d’un discours que d’actions concrètes. Il faut annoncer la fin de la Françafrique pour qu’elle puisse survivre. La Françafrique est morte, vive la Françafrique !
Selon l’économiste François-Xavier Verschave, “la Françafrique, c’est un iceberg, (…) 90% de la relation est immergée”. Une ingérence qui perdure, selon Pauline Tetillon, la co-présidente de Survie, ONG qui dénonce les actions néocoloniales françaises, et qui ne cache pas son scepticisme au sujet de l’annonce de la fin de la Françafrique faite par Emmanuel Macron.
Pour ses détracteurs, la Françafrique est encore une réalité. Les pratiques opaques et les réseaux d’influence hérités de la colonisation existeraient encore et continueraient à maintenir une forme de néocolonialisme en Afrique dans les affaires et la politique, avec une présence militaire et le soutien aux dictatures sur le continent.
Alors peut-être que Macron va sonner le glas de ce joyeux bordel, tel le chevalier blanc muni du glaive de la Juste Pensée. Mais pour y croire, il ne faut pas s’intéresser à son comportement en Afrique. Rien que le 2 mars dernier, Macron a montré l’étendue de son hypocrisie en réaffirmant la mort de la Françafrique depuis le Gabon, le cœur de la Françafrique. Ce petit pays d’Afrique centrale est en effet dirigé depuis 1967 par la même famille Bongo, soutenue par la France. Le Président français y était pour rencontrer son homologue Ali Bongo, à 6 mois d’“élections” qui doivent le voir repartir pour un troisième mandat successif, alors qu’aucune visite d’état française n’a eu lieu dans ce pays depuis 13 ans. Macron a eu beau affirmer “Je ne viens investir personne”, les dents ont grincé. Et ce n’est de loin pas le seul fait qui décrédibilise complètement Emmanuel et ses belles théories.
La Françafrique, ou ne surtout pas joindre les gestes à la parole
Dans son discours du 27 février, le président français s’est posé en défenseur de la démocratie et des libertés et a affirmé préférer “les institutions fortes” aux “hommes providentiels”. Dans le voyage qui a suivi son discours, en plus d’Ali Bongo, il a rendu visite à Denis Sassou Nguesso, Président du Congo Brazaville depuis 1979, après avoir rendu visite à Paul Biya au Cameroun en juillet dernier, au pouvoir depuis 1982. Et à ceux qui rétorquent qu’il ne fait que remplir sa tâche diplomatique, il faut rappeler que Macron a adoubé le fils Deby en 2021, alors qu’il succédait à son père décédé - et en place depuis 1990 - à la tête du Tchad. Car la France a besoin du Tchad au Sahel. De même pour un troisième mandat anticonstitutionnel de son ami Ouattara en Côte d’Ivoire.
On va être clair : être plus grossièrement françafricain que Macron est impossible. Alors que tous les concurrents de la France gagnent en influence et que cette dernière est en perte de vitesse en Afrique, peut-être qu’une nécessité de realpolitik a repoussé Macron dans les travers néocoloniaux. Il chercherait les alliés là où ils sont alors que la société civile se retourne contre la France et que Wagner, la Turquie et la Chine, mais aussi d’autres puissances européennes comme l’Allemagne, l’Italie et la Suisse, gagnent du terrain en Afrique. Et ces alliés, ils sont à trouver dans les reliques de la colonisation. Car la France n’a jamais su réinventer son rapport au continent africain. Il n’a jamais été sain. Et la France doit réagir rapidement si elle n’entend pas rester sur le carreau.
Macron n’a pas vraiment le choix. Il doit faire de la realpolitik. Il est obligé de tenir un discours post-colonial pour regagner l’opinion publique africaine et, de la même manière, il doit utiliser les outils de la Françafrique pour maintenir une influence politique et économique forte. Un politique du “mais en même temps” typiquement macroniste, finalement, et surtout typiquement néocoloniale. Tous les moyens sont bons. Il y a urgence. Car l’Afrique a compris qu’elle peut se passer de la France.
La France ne peut pas se passer de l’Afrique
Mais la France ne peut pas se passer de l’Afrique. Elle est la pièce centrale de la politique de grande puissance de la France. Elle assied la place de la France dans l’ordre international. Elle justifie le siège français au Conseil de sécurité de l’ONU, où la France joue le rôle de grande sœur et amène souvent les questions africaines sur la table. Sans l’Afrique, Paris n’est plus qu’une petite puissance régionale. L’Afrique est le levier de la puissance française.
Au niveau économique, la France voit ses parts de marché fondre, et donc son poids relatif, mais, en chiffres absolus, les bénéfices de ses entreprises exploser en Afrique. Ce double constat pousse Paris à ne défendre ses intérêts que plus farouchement. Les réseaux d’intérêt datant de la période coloniale sont encore forts, mais il faut les maintenir. Malgré la décolonisation officielle, les entreprises métropolitaines issues de l’ère coloniale ont conservé leur position dominante, voire monopolistique dans certains pays africains. C’est aujourd’hui de moins en moins le cas et cette décolonisation des marchés africains inquiète assurément Macron.
Finalement, au niveau énergétique, Paris est dépendante de l’Afrique, où Total notamment est très active. 12,6% des importations françaises de pétrole brut provenaient du continent africain en 2021, contre 5% du Moyen-Orient. L’uranium dont elle a besoin pour ses 58 centrales nucléaires est évidemment en partie extrait en Afrique, 35% de son uranium provient par exemple du Niger.
La France ne peut pas se passer de l’Afrique et la concurrence croissante sur le continent fait peur à ses élites. Je suis pourtant convaincu que cela ne suffit pas à expliquer entièrement les postures néocoloniales de Macron.
Un imaginaire
La Françafrique, c’est un réseau et des activités opaques au service de la domination et de la puissance française. Mais c’est aussi un imaginaire, que Macron a affirmé le 27 février vouloir déconstruire.
Nous parlons ici de l’imaginaire colonial qui continue à imprégner autant les esprits que les relations politiques. La Françafrique ne peut pas disparaître tant que cet imaginaire perdure. Macron veut donc remédier à cela, notamment en changeant de vocabulaire, d’attitude, et en s’impliquant dans la reconnaissance des crimes commis par la France dans ses colonies.
Et c’est bien là qu’on voit à quel point le Président est à la fois cynique et imprégné de l’imaginaire colonial françafricain. D’abord, sa politique prétendument « mémorielle » n’a rien de sérieux. C’est une pirouette macroniste de plus. Elle se contente d’une forme de reconnaissance expéditive des crimes de la colonisation européenne, pour pouvoir le plus vite possible appeler à dépasser une histoire qui ne mériterait même pas d’être détaillée. Macron minimise les conséquences d’une telle histoire, dédramatise la question, sous couvert d’un pseudo repenti, pour non pas réconcilier les mémoires, mais pour débarrasser la France du poids de son passé.
Ensuite, et ça saute aux yeux, Macron a baigné dans le roman national français, comme tous ses compatriotes. La France, c’est le “pays des droits de l’homme”, c’est l’“universalisme des Lumières”, c’est l’”exception culturelle”, c’est des valeurs à porter et à apporter aux autres. Leur récit national mythifie une idée de rayonnement international. Y compris de la langue et de la culture françaises, que beaucoup considèrent comme des bienfaits en soi. Nul besoin de préciser que cette idée que la France a d’elle-même a légitimé les projets colonial et néo-colonial.
Ainsi, quand Macron explique depuis Djerba, à l’occasion du Sommet de la Francophonie, que les Noirs et les Arabes ont tort d’abandonner la langue française par caprice militant, la vraie langue universelle africaine, la langue de la démocratie et du panafricanisme, et qu’il veut porter un “projet de reconquête” sur le continent, on est dans la Françafrique jusqu’au cou.
Finalement, comme le dit Macron lui-même, la Françafrique c’est une attitude, une arrogance de la part de la France, qui pense que les pays Africains ont besoin d’elle et s’adresse à eux comme à des subordonnés. Quand en 2017, Macron explique aux burkinabés, le sourire en coin, que l’électricité dans leurs universités, c’est le travail de leur président Kaboré. Que ce dernier, au moment où la salle ne sait pas bien comment réagir au ton paternaliste de Macron, décide de quitter la salle, un geste qui peut être interprété comme extrêmement fort diplomatiquement en pleine visite d’Etat, et qu’Emmanuel se permet d’ajouter, en tutoyant son homologue: “Du coup il s’en va… Reste là! Du coup il s’en va réparer la climatisation”, on est plongé en pleine Françafrique. Quand Macron, en 2023, explique aux Congolais que “depuis 1994, vous n’avez jamais été capable de restaurer la souveraineté ni militaire ni sécuritaire ni administrative de votre pays. C’est une réalité. Il ne faut pas chercher des coupables à l’extérieur”, grondant presque le Président Tshisekedi présent à ses côtés, on est tellement dans la Françafrique qu’on commence sérieusement à boire la tasse. Ce dernier, visiblement agacé par le ton et la posture de son homologue français, n’a d’ailleurs pas manqué de le remettre à sa place.
Françafrique la métamorphe
La Françafrique n’a jamais cessé de se réinventer. Elle évolue, mais ne disparaît pas. Ou plus précisément, elle évolue pour ne pas disparaître. Et c’est même là que réside sa grande force. C’est la thèse défendue par Amzat Boukari-Yabara, Benoît Collombat, Thomas Borrel et Thomas Deltombe, co-auteurs de L’Empire qui ne veut pas mourir. Une histoire de la Françafrique, paru aux Éditions du Seuil en octobre 2021.
Un bon exemple récent de la Françafrique qui veut opérer une mue pour se maintenir, c’est la tentative du Président Macron de faire disparaître la monnaie coloniale du Franc CFA en Afrique de l’Ouest (mais pas centrale), et de la remplacer par l’Eco. L’obligation de déposer la moitié des réserves de change auprès du Trésor français aurait disparu. Mais l’Eco fut un échec. L’idée a été mal reçue. Car la France a en fait tenté de s’immiscer dans un processus purement africain, en route depuis plusieurs années déjà et supervisé par la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), qui a son propre projet de monnaie commune. De plus, de nombreuses critiques reprochent à la réforme macroniste d’être superficielle et de n’apporter que très peu de modifications au Franc CFA. La nouvelle monnaie proposée aurait par exemple conservé le même ancrage à l’Euro, nuisant à la croissance de la région. Il s’agit de l’exemple parfait d’une entreprise visant à maintenir une influence héritée de l’ère coloniale, alors que des pays africains sont en train de s’en émanciper, mais vernie d’un discours anti-colonial.
Si Macron veut “refonder” la relation franco-africaine, c’est pour sauvegarder et renforcer l’influence française en Afrique. On est dans de la realpolitik pure, face à la concurrence grandissante des autres puissances sur le continent. On est aussi dans un racisme évident, où le Président Macron adoube et remet à l’ordre des chefs d’Etat africains comme s’il s’agissait de simples sous-préfets. Finalement, on est dans un cynisme sans nom, où tous les moyens sont bons pour renforcer la Françafrique.
Le crime passionnel de Macron
Les thèses que Manu tape depuis son perchoir de Président sur la fin du néo-colonialisme sont un crachat à la figure des penseurs post-coloniaux qu’il tente de récupérer. Et quand Macron parle d’une “histoire d’amour” entre la France et l’Afrique, c’est une gifle à l’histoire. C’est pisser sur les souffrances infligées depuis au moins un siècle et demi. Une histoire d’amour doit s’écrire à deux. On ne peut pas en gérer seul le narratif. Surtout quand on a violenté pendant des décennies l’autre partie. Et si vraiment on regrette les violences infligées, la première et la seule chose à tenter est de faire profil bas et de demander pardon, un mot absent de toutes les prises de paroles de Macron depuis son entrée en fonction. Et il n’y a évidemment aucune chance que la partie lésée accepte d’entamer une romance sur cette base-là.
Comme OSS 117 ou les protagonistes d’Au service de la France, Macron est une allégorie stéréotypée de la violence des rapports Nord-Sud. Sauf que celle-ci n’est pas ironique. Elle a des conséquences graves.
Elle doit au moins avoir l’intérêt de nous faire prendre du recul sur ces rapports de domination dans lesquels nous baignons tous malgré nous. Car l’attitude de Macron, que nous le voulions ou non, en dit beaucoup sur chacun d’entre nous. Décoloniser les esprits est un processus long et difficile. Que de toute évidence Emmanuel Macron n’a même pas pris la peine d’entamer.