Élections genevoises: la course au Conseil d'État

March 09, 2023

Luis de Oliveira


23 candidats se présentent pour décrocher l’un des sept sièges du Conseil d’État genevois le 2 avril prochain. À moins d’un mois du premier tour, qui sont les favoris et qui a de réelles chances de faire son entrée à l’exécutif genevois ? Est-ce que l’actuelle majorité de gauche va perdurer ?

Les sortants et les candidatures de témoignage

Pour pouvoir déterminer cela, il faut procéder par élimination pour ensuite pouvoir se concentrer sur les quelques candidatures qui vont réellement se faire concurrence et déterminer l’équilibre politique du prochain gouvernement.

Tout d’abord, il y a quatre candidats sortants, c’est-à-dire qu’ils sont actuellement au Conseil d’État et qu’ils décident de se représenter. Ce sont :

  • Thierry Apothéloz (PS) ;
  • Nathalie Fontanet (PLR) ;
  • Fabienne Fischer et Antonio Hodgers (Vert-e-s).

Quatre candidats populaires provenant des trois principaux partis du canton. Ne souffrant pas d’affaires ou de scandales pouvant égratigner leur image, il me paraît aujourd’hui invraisemblable qu’ils ne soient pas réélus.

Ensuite, il faut écarter de cette analyse les candidatures de témoignage, c’est-à-dire ceux qui se sont portés candidats sans avoir la réelle ambition d’accéder au gouvernement. Ils se présentent pour avoir davantage la parole dans les médias par exemple et ainsi avancer des thèmes dans la campagne qui pourraient favoriser leur liste au Grand Conseil; la gauche radicale en est un bon exemple. Cela peut également être par ego et pour augmenter sa notoriété, à l’image de certains candidats hors partis. Nous n’allons donc pas nous attarder sur les candidatures de :

  • Roland-Daniel Schneebeli (Élan radical) ;
  • Olivier Pahud (Évolution suisse) ;
  • Luc Barthassat (Civis) ;
  • Philippe Oberson (Résistance populaire) ;
  • la gauche radicale qui part divisée et qui présente 5 candidats sur deux listes.

Les réels prétendants à la magistrature et leurs chances de succès

Après avoir écarté les sortants et les candidatures sans aucune chance de succès, il nous reste donc 10 candidats pour 3 sièges. Dans le détail, il s’agit de :

  • Philippe Morel (MCG) ;
  • Pierre Maudet (Libertés et justice sociale) ;
  • Carole-Anne Kast (PS) ;
  • Delphine Bachmann et Xavier Magnin (Le Centre) ;
  • Anne Hiltpold (PLR) ;
  • Marie-Claude Sawerschel et Marc Wuarin (Vert’libéraux) ;
  • Michael Andersen et Lionel Dugerdil (UDC).

J’ai décidé de conserver les candidats UDC dans ce groupe parce que le parti a l’ambition de vouloir peser sur la politique du canton et car il est représenté au Grand Conseil, même si le score du parti reste faible à Genève (7,32% en 2018). Néanmoins, ces deux candidats UDC ne sont pas très connus et n’ont pas beaucoup d’expérience. Par conséquent, il paraît très improbable de les voir récolter beaucoup de votes au premier tour, en particulier au-delà de la base d’électeurs UDC. Nous allons nous attarder sur cette question plus tard, mais il n’est pas vraisemblable d’imaginer un candidat UDC se faire élire grâce à une large alliance de droite au second tour comme cela peut exister dans d’autres cantons.

The elephant in the room

Après avoir limité le champ d’analyse aux prétendants les plus sérieux, il est le moment de s’attaquer à la raison pour laquelle ces élections sont si incertaines et passionnantes : Pierre Maudet.

L’enfant prodige de la politique genevoise, élu au premier tour (!) en avril 2018, est rattrapé par des scandales judiciaires dès septembre 2018. Pierre Maudet se voit retirer petit à petit toutes ses responsabilités gouvernementales par les autres membres du Conseil d’État, puis exclure de son parti (PLR) en juillet 2020. Il démissionne en octobre de la même année en annonçant être candidat à sa succession. Sachant qu’il restait populaire chez certains électeurs, il espérait ainsi retrouver une légitimité et faire oublier ses déboires judiciaires.

Le premier tour de cette élection complémentaire se tient le 7 mars 2021 et Pierre Maudet finit à la deuxième place de ce scrutin en récoltant plus de 29’000 votes, avec 9’000 voix d’avance sur le candidat officiel du PLR. C’est un énorme désaveu pour le parti le plus important du canton et un signe que sa base est divisée sur Pierre Maudet. Cela signifie aussi que Maudet reste populaire dans le canton malgré ses affaires judiciaires. Il faut à ce sujet rappeler que c’est un excellent politicien et qu’il a réussi à devenir populaire à gauche également grâce à l’opération Papyrus notamment qui a régularisé la situation de près de 3’000 personnes sans papiers. Cette façon de courtiser tant la droite que la gauche se retrouve aujourd’hui dans le nom du mouvement qu’il a créé autour de sa candidature, Libertés et Justice sociale.

Il est néanmoins devancé de plus de 9’000 voix au premier tour de cette élection complémentaire par une autre candidate, Fabienne Fischer des Vert-e-s, qui était inconnue du grand public jusque-là. Il ne parviendra pas à combler cet écart au second tour et Fabienne Fischer offre à la gauche sa première majorité au Conseil d’État genevois depuis 2005. Sa condamnation par la justice genevoise en février 2021 pour acceptation d’un avantage, confirmée par le Tribunal fédéral en novembre 2022, a pesé trop lourd dans la balance.

À noter la présence de Delphine Bachmann qui s’est lancée au second tour de cette élection complémentaire sans avoir été candidate au premier tour. Ceci l’a fait connaître du grand public car elle s’est positionnée comme l’alternative de centre-droit à Pierre Maudet après le retrait du candidat PLR à la suite de son score très décevant du premier tour. Ce gain de notoriété pourrait compter et l’aider en vue de l’élection au Conseil d’État.

Pierre Maudet reste donc un candidat redoutable, capable d’engranger des dizaines de milliers de voix malgré une condamnation judiciaire. Sa base d’électeurs lui assure un bon score au premier tour, mais on peut douter de sa capacité à attirer assez de votants pour lui permettre de passer l’épaule au second tour. En d’autres termes, son plancher est très haut mais son plafond électoral est assez bas. C’est tout l’inverse des Vert’libéraux (PVL), qui avaient obtenu 1,6% des voix en 2018 et qui espèrent dépasser les 7% cette année. Au Conseil d’État, leur salut proviendrait d’une alliance au second tour.

Une alliance de centre-droit au second tour ?

Il est très difficile pour un parti n’atteignant pas au moins les 10% des voix de décrocher un siège au Conseil d’État, la marche est très haute surtout quand ses candidats souffrent d’un déficit de notoriété. Le seul moyen est de faire partie d’un ticket (d’une alliance) et que les électeurs des autres partis du ticket décident d’également voter pour le candidat ou la candidate du plus petit parti. C’est exactement ce qu’il s’est passé dans le canton de Vaud lors de leurs dernières élections cantonales. Alors que le Centre est quasiment inexistant dans le canton, ne disposant d’aucun siège dans le Parlement cantonal, il s’est allié au PLR et à l’UDC et a réussi à placer Valérie Dittli au gouvernement alors qu’elle n’avait jamais été élue auparavant. Ceci a été possible car la droite présentait un ticket commun avec quatre candidats et que les électeurs de droite ont voté en bloc, préférant voter pour une centriste peu connue pour s’assurer d’une majorité de droite au gouvernement.

Ce type d’alliance (Centre-PLR-UDC) a été notamment appelée de ses vœux par Céline Amaudruz (UDC), mais seul le PLR a répondu favorablement. En effet, à Genève, le Centre et les Vert’libéraux ne considèrent pas appartenir à la même famille politique que l’UDC et ne veulent en aucun cas s’allier avec ce parti à cause de son discours nationaliste. Il est donc impossible de voir émerger une grande alliance de droite au second tour réunissant le Centre, les Vert’libéraux, le PLR et l’UDC.

Si on exclut l’UDC, il est en revanche beaucoup plus réaliste d’imaginer le centre-droit s’unir au second tour. Les équilibres de ce potentiel ticket de centre-droit restent à définir selon les scores du premier tour mais il est probable que le PLR soit le parti principal et y inclue ses deux candidates. Anne Hiltpold, conseillère administrative de Carouge, se positionne légèrement plus à gauche que sa colistière Nathalie Fontanet en axant sa communication sur sa fibre sociale pour se démarquer. Les deux autres candidates de ce ticket pourraient potentiellement être Delphine Bachmann pour le Centre et Marie-Claude Sawerschel pour les Vert’libéraux.

Un ticket de la sorte aurait sur le papier le potentiel de battre l’unité du PS et des Vert-e-s et ainsi ravir sa majorité. Le problème est que ces trois partis ne se sont jamais unis auparavant et que cela va également dépendre des scores du premier tour. Par exemple, si les Vert’libéraux n’arrivaient pas à réellement progresser, les autres partis pourraient ne même pas les considérer au vu de leur faible impact électoral. Au contraire, si le PLR chute lourdement et se voit contester son leadership à droite, cela pourrait également faire voler ce ticket théorique en éclat.

L’autre principal problème est que le second tour à Genève ne verra pas un affrontement gauche-droite classique comme le canton de Vaud l’a vécu et qui permettrait à une alliance de droite de s’imposer. En effet, il semble difficile d’imaginer un second tour sans les candidatures de Pierre Maudet et Philippe Morel (MCG).

Et le MCG dans tout ça ?

Le Mouvement Citoyen Genevois a été fondé en 2005, quelques mois avant les élections cantonales, et a ensuite récolté 7,73% des voix sous le slogan « Genève et les Genevois d’abord ». Ceci lui a permis d’accéder au Grand Conseil et a été la rampe de lancement du parti. Il a ensuite réussi en 2007 à obtenir des élus dans trois grandes communes du canton, à savoir Lancy, Vernier et Onex. Il ressort grand vainqueur des élections municipales de 2011 et la même année, lors des élections fédérales, il parvient à faire élire Mauro Poggia au Conseil national à Berne. Cette surprise va se confirmer en 2013 lors des élections cantonales où le MCG atteint plus de 19% et devient le deuxième parti du canton. En s’alliant avec l’UDC au second tour, Mauro Poggia est élu au Conseil d’État.

Avec l’accession au pouvoir, le discours contestataire anti-élites perd de sa force. En 2018, le parti perd plus de la moitié de ses suffrages et s’écroule à 9,43%. Ces dernières années n’ont pas été meilleures et le parti apparaît en perte de vitesse. Pour les élections de 2023, le MCG revient sur ce qui a été à la base de son succès et espère capitaliser sur le sentiment anti-frontaliers. Cependant, celui-ci perd de sa pertinence avec un taux de chômage faible. De plus, une prise de conscience de l’importance des travailleurs frontaliers pour le fonctionnement de l’économie genevoise s’est opérée, en particulier après la pandémie qui a mis en lumière les besoins criants en personnel hospitalier.

Dans ce contexte, Mauro Poggia décide de ne pas se représenter (visant probablement une candidature pour le Conseil des États en octobre prochain) et le parti choisit de présenter Philippe Morel. Le chirurgien, membre dans le passé du PDC puis du PLR, est élu au Grand Conseil depuis 2009. Ce profil de politicien expérimenté et mercenaire peut surprendre pour cette formation et a peu de chances de réunir une large adhésion au-delà de la base d’électeurs MCG.

De plus, le MCG sera concurrencé par Pierre Maudet, qui lui aussi courtise le vote contestataire et populiste ne s’alignant pas sur le clivage gauche-droite. Dans ces circonstances, il paraît bien improbable que Philippe Morel fasse un très bon score et que le MCG conserve son siège au Conseil d’État. Il est néanmoins tout à fait possible qu’il se maintienne au second tour, probablement dans ce cas en alliance avec l’UDC. Comme pour les candidats UDC, il paraît également invraisemblable d’imaginer une alliance au second tour avec le PLR, le Centre ou les Vert’libéraux à cause du discours populiste et anti-frontaliers.

Bilan et pronostic

Après ce passage en revue de l’ensemble des candidatures, en particulier à droite où elles sont foisonnantes, il est temps de tirer des conclusions et de désigner des favoris à la succession de Mauro Poggia (MCG), Anne Emery-Torracinta (PS) et Serge Dal Busco (Le Centre).

Partant du principe que les quatre candidats sortants (2 Vert-e-s, un PS, une PLR) seront réélus car ils disposent d’une bonne cote de popularité et car ils sont soutenus par les principaux partis genevois, le ticket réunissant les quatre candidatures du PS et des Vert-e-s semble très fort et en mesure de maintenir la majorité de gauche au Conseil d’État. En effet, la quatrième personnalité, Carole-Anne Kast, est conseillère administrative d’Onex depuis 2007 et a été à chaque fois brillamment reconduite, en témoigne sa réélection au premier tour en 2020 avec 57% des voix. Elle a par ailleurs déjà été élue au niveau cantonal en 2005 lors de l’élection du Grand Conseil. Elle avait réalisé une très bonne performance, en étant la cinquième mieux élue des socialistes et devançant des personnalités de son parti comme Anne Emery-Torracinta ou Sami Kanaan.

Pour la battre, il faudra que la droite s’unisse. Au vu de l’impossibilité de réunir toutes les composantes de la droite genevoise, plusieurs alliances se formeront. Je vois Pierre Maudet se maintenir, même avec un score moyen car abandonner piteusement après le premier tour est impensable pour quelqu’un avec un tel ego. Il croira également qu’il sera possible de rallier des électeurs dans l’entre-deux-tours avec son discours ni de gauche ni de droite. Pierre Maudet étant devenu politiquement radioactif à la suite de sa condamnation, je ne vois personne oser se rapprocher de lui en vue d’une alliance. Si les candidats de droite partent tous désunis au second tour, il est tout à fait possible qu’il fasse individuellement un meilleur score que les candidats du Centre, du PVL, de l’UDC et du MCG, mais ce scénario d’une désunion totale à droite au second tour me paraît improbable.

Comme discuté plus haut, l’UDC et le MCG se retrouveront dans le même bateau car le centre-droit ne voudra pas s’allier avec eux. Leur attitude dépendra de leurs scores respectifs du premier tour mais il est probable qu’ils maintiendront au second tour au moins un de leurs candidats. Je ne les vois pas appeler à voter pour les autres candidats de droite sans en présenter au moins un, à moins d’une réelle déconvenue.

Enfin, la seule menace pour la gauche proviendrait d’une alliance des Vert’libéraux, du Centre et du PLR. Le Centre et le PLR sont des alliés historiques, mais ils partiront séparés au premier tour pour la première fois depuis 80 ans. Le Centre a refusé la proposition du PLR pour une alliance à trois avec l’UDC et ensuite le PLR a également décliné la contre-proposition du Centre pour une alliance à trois avec le PVL, chacun partira donc seul au premier tour.

Une alliance au second tour serait idéale pour les trois partis. Cela donnerait de la légitimité au PVL et leur donnerait une chance d’accéder au Conseil d’État. Cela donnerait au Centre une meilleure chance de conserver le siège laissé vacant par Dal Busco et cela permettrait au PLR de retrouver son second siège au gouvernement. Cependant, s’il était facile pour ces partis de s’unir, ils l’auraient fait dès le premier tour comme les Socialistes et les Vert-e-s le font. Cette alliance théorique de centre-droit n’est donc pour le moins pas actée et la désunion de la droite peut offrir sur un plateau le Conseil d’État à la gauche. Il me semble toutefois probable de voir le Centre et le PLR unis au second tour, sous une forme ou une autre.

En m’essayant à l’exercice hasardeux du pronostic, encore plus périlleux avant les résultats du premier tour, je dirais que je vois par conséquent Carole-Anne Kast, Anne Hiltpold et Delphine Bachmann rejoindre Thierry Apothéloz, Nathalie Fontanet, Antonio Hodgers et Fabienne Fischer au Conseil d’État genevois le 30 avril prochain. Si cela se réalise, cette composition maintiendrait la majorité de gauche actuelle et offrirait à Genève le premier gouvernement majoritairement féminin de son histoire.