Zurich, oracle des élections fédérales ?

February 26, 2023

Luis de Oliveira


Lors de la couverture médiatique de ces élections, il était constamment rappelé que les élections cantonales à Zurich étaient un avant-goût des élections fédérales qui se dérouleront le 22 octobre prochain. Près de 18% de la population suisse vit dans le canton de Zurich et 36 des 200 Conseillers nationaux seront Zurichois en 2023, le canton a donc un réel impact aux Chambres fédérales, en plus de son poids économique et culturel. Les tendances politiques qui se manifestent à Zurich vont-elles donc réellement se matérialiser dans quelques mois à l’échelle nationale ? Quels enseignements faut-il en tirer ?

Retour sur les résultats des élections du 12 février 2023

Revenons d’abord sur les résultats des dernières élections cantonales à Zurich avant d’analyser si ceux-ci sont pertinents en vue des élections fédérales. Le 12 février dernier, les Zurichois ont réélu l’ensemble de leur gouvernement sortant et ont conservé, à quelques sièges près, la composition du parlement sortant. En effet, tous les partis se sont maintenus à +/- 0.5% de leur score d’il y a quatre ans, excepté les Verts qui ont perdu 1.5%. Même si le Centre a gagné 3 sièges, il n’a augmenté sa part des votes que de 0.2% et récolte ainsi 6% des voix, il est donc un peu exagéré de dire que le Centre est sorti grand vainqueur de ces élections. Ce gain de sièges est principalement dû aux caractéristiques du système électoral zurichois et à leur fusion avec le PBD (Parti bourgeois-démocratique) plutôt qu’à une réelle avancée en terres zurichoises.

En résumé, les électeurs zurichois ont privilégié la stabilité. L’équilibre politique formé il y a quatre ans à Zurich perdure encore malgré le fait qu’une pandémie et une guerre à moins de 2000 kilomètres de nos frontières soient intervenues entre temps. Les seuls qui observent un recul sont les Verts, même s’il n’est pas si étonnant d’observer un léger reflux après une vague verte aussi importante en 2019. Cette vague verte s’est néanmoins découplée car les Vert’libéraux (PVL), qui avaient eux aussi fortement progressé il y a quatre ans, se sont maintenus au même titre que les partis historiques, ce qui est plus surprenant et témoigne de la forte implantation de ce parti dans le canton.

Comparaison entre les votes aux élections cantonales et fédérales à Zurich

Regardons maintenant dans le passé pour comparer les résultats des élections cantonales zurichoises et les votes zurichois lors des élections fédérales précédentes.

Tout d’abord, les électeurs zurichois votent de manière très similaire aux élections cantonales et aux fédérales. En effet, entre 2007 et 2019, les tendances qui se dégagent lors de l’élection du parlement zurichois se retrouvent quelques mois plus tard dans les votes zurichois pour l’élection du Conseil national. Il existe quelques légères variations, certains mouvements se retrouvent amoindris ou bien accentués comme la vague verte après l’été caniculaire de 2019, mais il n’y a pas de retournement de situation et les évolutions des forces des partis en février et en octobre restent très corrélées.

On observe néanmoins un fort différentiel de participation. Entre 2007 et 2019, la participation moyenne aux élections cantonales est de 34,7% alors qu’elle atteint 46,9% aux élections fédérales. Les résultats de ces dernières sont donc bien plus sensibles aux effets d’une bonne campagne électorale dans les semaines précédant l’élection ou bien d’un changement profond de l’actualité politique. Ces 35% d’électeurs supplémentaires, davantage concernés par les enjeux nationaux, ne votent pas à chaque élection et sont donc potentiellement moins identifiés à un parti précis. Cela crée une source d’incertitude supplémentaire et peut bénéficier à des partis plus axés sur des thèmes nationaux et internationaux (immigration, relations avec l’Union européenne par exemple).

Au vu de la très forte corrélation entre les tendances des élections cantonales et fédérales à Zurich, il est par conséquent tout à fait légitime de penser aujourd’hui que Zurich privilégiera en octobre une certaine forme de stabilité par rapport à la délégation qu’il a envoyé à Berne il y a quatre ans, avec des Verts en légère baisse toutefois.

Comparaison entre les tendances zurichoises et nationales

La question qui se pose désormais est de savoir si le reste de la Suisse a tendance à suivre l’impulsion donnée par le canton le plus peuplé et la réponse est oui, dans une certaine mesure.

En 2019, la vague verte avait été annoncée dès les élections cantonales zurichoises. L’UDC perdait en février 5,5% alors que les Vert’libéraux et les Verts gagnaient eux respectivement 5,3% et 4,7%. Le PS (-0,4%) et le PLR (-1,6%) perdaient aussi quelques plumes. Au niveau national, cette tendance s’est tout à fait confirmée en octobre, elle s’est même accentuée pour les Verts qui ont gagné 6,1%, en partie au détriment du PS qui perd lui 2%. La tendance s’est un peu amoindrie à droite mais les Vert’libéraux et l’UDC observent néanmoins un mouvement de 3% par rapport à 2015, ce qui reste relativement important.

En octobre 2015, la scène politique suisse est marquée par un virage à droite après un été et une campagne marqués par le thème de l’immigration, avec l’UDC et le PLR qui sont en hausse de 2,8% et de 1,3% respectivement. Le PS est stable et les partis écologistes sont en baisse. La situation à Zurich en février était cependant un peu différente, car l’UDC était stable alors que le PLR regagnait 4,4% au détriment des Verts (-3,4%) et des Vert’libéraux (-2,7%), comme une revanche des élections cantonales de 2011 qui avaient vu triompher les Vert’libéraux au détriment du PLR.

L’émergence des Vert’libéraux

On arrive ici aux années où le paysage politique zurichois était fondamentalement différent de la scène politique suisse et donc où les projections fédérales à partir des élections cantonales zurichoises perdaient de leur sens. En effet, les Vert’libéraux ont dépassé les 10% à Zurich en 2011 alors que leur score national n’était que de 5,4%. Le parti ne disposait à cette date que de quatorze sections cantonales et est seulement apparu en Suisse romande en 2009.

Avec des Vert’libéraux à plus de 10% et un PDC à moins de 5%, la politique zurichoise était très différente de la scène politique nationale en 2011. Mais depuis, les deux ont fortement convergé grâce à l’expansion nationale des Vert’libéraux. Les forces des partis à Zurich ne sont évidemment pas exactement les mêmes que celles au niveau national, le PVL restant par exemple sur-représenté et le Centre sous-représenté, mais les tendances des élections cantonales de février sont extrapolables aux élections fédérales.

Vu que les votes des électeurs zurichois suivent les mêmes tendances en février et en octobre, que le reste de la Suisse suit en moyenne les mêmes tendances que Zurich et que les Vert’libéraux existent politiquement dans l’ensemble de la Suisse désormais, il est possible de tirer des enseignements nationaux à partir des résultats cantonaux zurichois, avec quelques précautions toutefois.

Enseignements en vue des élections fédérales

Avant de se projeter, il faut garder un peu d’humilité et se rappeler que les élections fédérales en octobre restent très incertaines pour trois raisons.

Tout d’abord, les thèmes qui ont dominé la campagne électorale en 2015 et en 2019, respectivement l’immigration et le changement climatique, se sont imposés pendant l’été et donc il est tout à fait possible qu’un nouveau thème prenne le dessus dans les prochains mois. Ceci changerait les dynamiques politiques car les électeurs ont tendance à récompenser les partis qui semblent les plus crédibles sur les sujets qui dominent l’actualité.

Ensuite, il ne faut pas oublier que les élections fédérales sont en réalité constituées de 26 élections simultanées à l’échelle cantonale, nous n’élisons pas notre Parlement à la proportionnelle avec une circonscription unique. Les scores nationaux ne reflètent donc pas forcément le gain ou la perte de sièges pour chacun des partis. Par exemple en 2015, le PS avait récolté 18,8% des voix, en hausse de 0,1%. Au Conseil des États, les Socialistes avaient gagné un siège mais ils en avaient perdu trois au Conseil national. Il est donc possible que le changement des rapports des forces au Parlement ne soit pas tout à fait aligné avec l’évolution des forces des partis au niveau national.

Enfin, nous avons vu que la participation est bien plus forte lors des élections fédérales par rapport aux élections cantonales. De bonnes campagnes électorales peuvent mobiliser ces électeurs qui ne votent pas à toutes les élections et votations et ainsi faire la différence.

En gardant à l’esprit tous ces éléments, le premier constat qui s’impose à nous est que les Verts semblent en perte de vitesse par rapport à 2019. Ils sont en net recul, y compris dans d’autres cantons tels que Bâle-Campagne qui tenait ses élections le même jour que celles de Zurich, et les sondages nationaux les placent également dans la colonne des perdants si le vote se tenait aujourd’hui. De plus, cela ne semble pas profiter au PS. Si cela se confirme, cela pointerait vers un Parlement légèrement plus à droite pour la prochaine législature.

Le second enseignement est que les Vert’libéraux devraient continuer de progresser, même sans un environnement politique particulièrement favorable. Si l’on part du principe que le score du PVL restera stable à Zurich en octobre, leur pourcentage des voix au niveau national sera très probablement en hausse car ils ont gagné des parts de l’électorat dans de nombreux cantons où ils n’étaient qu’un parti mineur jusque récemment. Par exemple, il semble raisonnable de penser qu’ils pourraient faire mieux dans les deux Bâle, à Fribourg, à Genève ou à Zoug, des cantons où ils n’atteignaient pas les 6% en 2019. Aux élections cantonales de Bâle-Campagne, les Vert’libéraux sont passés de 4,5% à 8,4% ce qui indique qu’ils ont une réelle marge de progression en dehors de Zurich. Ceci pourrait notamment se confirmer en avril lors des élections cantonales à Genève.

Les autres grands partis semblent stables, mais il est encore trop tôt pour réellement savoir s’ils sortiront gagnants ou non des prochaines élections fédérales. Il est néanmoins intéressant de se pencher sur le cas du Centre, qui vient de changer de nom et d’absorber le PBD en espérant gagner des voix dans le Plateau. En effet, leur réserve de voix et leurs sièges au Parlement proviennent essentiellement des régions alpines et anciennement catholiques mais il ne semble pas que cette stratégie d’ouverture vers un nouvel électorat soit particulièrement payante pour le moment, à Bâle-Campagne ou à Zurich du moins. Il faudra donc observer en octobre si leur stratégie permet de combattre l’érosion progressive de leur électorat.

Ce potentiel glissement à droite de l’équilibre politique national, causé par un affaiblissement des Verts, reste pour le moment fictif. Les Vert’libéraux peuvent progresser dans de petits cantons sans gagner de sièges. À l’inverse, les Verts pourraient perdre du terrain sans que l’équilibre gauche-droite en soit affecté si le PS réalise un bon score. L’environnement politique peut également encore radicalement changer d’ici octobre. Les élections fédérales nous réserveront de nombreuses surprises et je continuerai d’observer attentivement et d’analyser dans ce blog l’actualité électorale suisse, en commençant par faire le mois prochain un aperçu détaillé des forces en présence aux élections cantonales genevoises qui promettent d’être mouvementées.